Tulum a quelque chose de particulier. Son charme peut être plus difficile à discerner qu’on pourrait le croire. Outre les plages de toute beauté et l’esthétique sans limite de la zone hôtelière, haut lieu de la culture hippie chic, mais surtout pour touristes fortunés, le village pourtant banal peut recéler de lieux faisant l’éloge du bien-être, dans une zone géographique où la culture maya est très ancrée. De nombreux centres permettent ainsi de prendre soin de soi et de se reconnecter avec soi-même et son environnement. Parmi ces activités, le yoga, incontournable ici et sous toutes ses formes, mais aussi les massages, la méditation, les cours de danse, les thérapies énergétiques… mais aussi les cérémonies traditionnelles comme celles du cacao ou du temazcal. C’est cette dernière que l’on m’a conseillée d’expérimenter tant que je suis à Tulum, lieu idéal pour découvrir les cérémonies traditionnelles locales.
Le temazcal, une cérémonie purificatrice
La cérémonie du temazcal est une tradition ancestrale maya qui s’apparente à un traitement médical avec pour but la purification du corps, de l’esprit et de l’âme, à travers une expérience physique particulière se déroulant dans un dôme de vapeur, dirigée par un shaman, un guide spirituel. La sudation consécutive à la forte chaleur élimine les toxines, la vapeur prévient ou peut soigner les problèmes de rhume, et enfin sur un plan énergétique, cette cérémonie peut aider à un rééquilibrage émotionnel en nettoyant les mauvaises énergies et en alignant les chakras. En somme, il s’agit d’une cérémonie de soin, de relaxation et de purification.
Etant curieux de nouvelles expériences, encore plus s’il s’agit de traditions ancestrales basées sur la recherche du bien-être, élément que je tends à améliorer depuis des années, je me devais de découvrir les bien-fondés de cette cérémonie. Après avoir pris les renseignements et les recommandations nécessaires, le jour venu je me suis préparé en mangeant léger ainsi qu’en m’hydratant plus qu’à l’accoutumé, avant de me rendre au centre Espiritu Wellness, à Tulum à 16h. On me prévient que l’intégralité de la cérémonie durera 3 heures. Un soupçon d’appréhension s’invite dans mon esprit, ne sachant pas exactement ce qui m’attend. Pour le moment, je suis invité à m’hydrater un maximum puis à me mettre en maillot de bain. Les participants arrivent peu à peu, nous serons dix à y participer.
Entrée au coeur de la Terre
La cérémonie commence en douceur, réunis en arc de cercle autour d’un four extérieur dans lequel ont été disposées des pierres d’origine volcanique, le shaman nous explique le déroulement de la cérémonie. Des chants aux allures de prières sont entamés, accompagnés d’un tambour et d’instruments de type maracas, distribués à chacun d’entre nous, afin de nous faire participer à cette connexion avec les esprits de la Terre. Deux fèves de cacao sont distribuées à chacun. Nous sommes invités à nous présenter à tour de rôle devant le feu afin de formuler une intention, autrement dit un souhait, une prière, avant d’y jeter les fèves, le cacao étant considéré comme sacré dans la culture maya et utilisé comme offrande auprès des Dieux.
Avant de pénétrer dans le dôme, le shaman nous bénit en langue nahuatl (langue ancestrale) et nous couvre d’une fumée issue d’une plante médicinale, puis nous nous positionnons à l’entrée du temazcal, la fameuse hutte de sudation, devant laquelle nous nous agenouillons avant d’y entrer, le front contre terre, afin de demander la permission de pénétrer dans ce qui représente le centre de la Terre. Nous nous y engouffrons et nous nous installons en ne circulant que dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.
Bienvenida abuelita piedra
Sur les dix participants, nous sommes quatre novices, les autres ayant déjà participé à cette cérémonie. Le shaman est accompagné d’une femme qui l’assistera et du responsable du feu, qui apportera les pierres et donnera le rythme des chants avec son tambour. Au milieu se trouve l’emplacement destiné aux pierres qui seront disposées tout au long de la cérémonie. Les pierres volcaniques symbolisent la Terre car elles constituent la matière parmi les plus anciennes. La cérémonie se déroulera en quatre étapes, chaque étape représentant un point cardinal, relié à l’un des quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air. A chaque étape seront apportées de nouvelles pierres, ce qui aura pour effet une augmentation progressive de la température à l’intérieur du dôme.
Les pierre brûlantes sont apportées une à une, et nous devons les accueillir par une incantation : « Bienvenida abuelita piedra » (Bienvenue grand-mère la pierre). Progressivement, je me rends compte de la solennité de la cérémonie dont nous sommes tous invités à participer. Nous ne sommes pas uniquement spectateurs, nous devons nous aussi accueillir les pierres sacrées et aussi procéder à un rituel que nous ferons à tour de rôle, à savoir que deux participants accueillent les pierres entrantes, le premier les marque d’une croix, avec un caillou trempé dans une mixture de plante médicinale tout en prononçant à voix haute, en espagnol ou en anglais, une intention, un voeu, une belle parole, aux allures de prière, à destination de lui-même ou de personnes nécessitant de l’aide (par exemple : « Que les humains retrouvent la connexion avec la nature » ou « Que les personnes souffrant d’une addiction puisse êtres libérées ») avant que le second, muni d’une sculpture à tête d’animal avec des cornes, fasse toucher les cornes sur la pierre, avant de dessiner un cercle au dessus de l’ensemble des pierres puis de lever la sculpture vers le ciel. Chacun d’entre nous fera ces deux rituels environ quatre fois consécutivement avant de passer le relais à son voisin.
Plongée au coeur de l’inconnu
Une fois la dizaine de pierres déposées, un seau d’eau est apporté ainsi que des plantes médicinales. Le shaman nous demande alors de fermer les yeux, et l’entrée de la hutte est obstruée par un linge épais, ne laissant passer aucun rayon lumineux. La partie intense de la cérémonie peut enfin commencer et je suis encore dans le flou de savoir ce qui m’attend, l’essentiel nous dit le shaman étant de se concentrer sur sa respiration. Je commence donc à prendre le rythme d’une inspiration par le nez et d’une expiration par la bouche, le tout avec une appréhension toujours présente. Des prières en langue nahuatl sont alors prononcées, accompagnées du rythme du tambour, et l’eau commence à être jetée sur les pierres brûlantes. J’ai le réflex d’ouvrir les yeux et je m’aperçois que nous sommes dans le noir complet, alors que la vapeur émanant de l’eau jetée sur le feu et les plantes médicinales prend possession de la hutte d’une manière aussi rapide qu’intense. Un sentiment proche de l’angoisse s’empare de moi, alors que je ne suis habituellement pas de nature claustrophobe. Il s’agit d’une sensation qui m’est inconnue, celle d’avoir l’impression de peiner à respirer tout en étant dans l’obscurité la plus totale, avec mes repères sensoriels amputés de la vue, laissé seul avec mon odorat qui prend à pleines narines la vapeur aromatisée aux plantes médicinales, ainsi que l’ouïe happée par le frémissement des pierres au contact de l’eau et le rythme envoûtant des tambours. Les premières secondes sont angoissantes et je me demande comment je vais pouvoir tenir ainsi pendant les deux heures de la cérémonie, mais je me concentre sur ma respiration et j’abandonne ma confiance au shaman et à cette cérémonie ancestrale. Après tout, nous sommes tous des enfants de la Terre, même si la majorité de notre civilisation moderne a oublié cette connexion spirituelle au profit d’une évolution matérielle et mentale qui nous conduit sur des chemins sans repères où la spiritualité et la connexion avec nous-même et l’essentiel qui nous entoure sont oubliées. Alors pour les deux heures à venir, je décide de me laisser guider et commence à me détendre tout en entretenant une respiration cadencée et profonde.
A chaque jet d’eau sur les braises l’atmosphère devient de moins en moins confortable car de plus en plus humide. Pour cette première étape de la cérémonie, c’est du tabac qui est déposé sur les braises. Evidemment, rien d’industriel ici, il s’agit de tabac naturel aux vertus thérapeutiques, comme toutes les autres plantes utilisées par la suite. L’air est donc emprunt de cette plante et nous respirons à plein poumon les vapeurs aux arômes de tabac. Sensation étonnante que de remplir ses voix respiratoires de cette substance, supposée nocive, mais il y a comme un sentiment de nettoyage du corps de l’intérieur en inspirant ce qui est avant tout une plante, sans transformation chimique ou ajout d’additif.
Le shaman nous demande à tour de rôle quelle est notre intention puis bénit notre demande. Cette intention personnelle s’apparente à une prière. A chacun de souhaiter une amélioration dans sa vie, qu’il s’agisse de sa santé, de sa relation aux autres, de la gestion de ses émotions, de ses addictions… La cérémonie continue avec des chants traditionnels accompagnés par le fracas du tambour qui résonne dans toute la hutte. Nous accompagnons les tambours avec les maracas, distribués en début de cérémonie. La température augmente progressivement et le corps ruisselle de sueur. Il m’est difficile d’évaluer la durée de cette première étape tant tout me parait en dehors du temps, l’obscurité y jouant un grand rôle.
Puis un début de soulagement, avec l’ouverture de la hutte, le linge épais est relevé pour y dégager la vapeur avant d’entamer la seconde étape. Même les yeux ouverts, je discerne à peine la lumière pénétrer dans le dôme tant la vapeur est dense, même si elle se dissipe peu à peu. Il nous est demandé pendant ce petit moment de répit de profiter du renouvellement de l’air pour respirer profondément et éventuellement de s’allonger ou de se mettre en position agenouillé, le front contre terre, afin d’aspirer l’air frais émanant du sol. Une fois la vapeur évacuée, de nouvelles pierres volcaniques sont apportées et la même procession qu’à la première étape a lieu, en accueillant chacune des nouvelles pierres selon le même rituel que précédemment. Une dizaine de pierres sont ainsi ajoutées à celles servant déjà de braise. Les plantes médicinales changent. Je ne saurai dire quelles sont les plantes utilisées à chacune des étapes, bien qu’annoncées par le shaman, tant mon espagnol est limité, mais pour ce genre de cérémonie on utilise généralement du romarin, de la sauge, du camphre, de l’eucalyptus, de la camomille…
Une fois les pierre déposées, l’entrée est de nouveau obstruée et commence ainsi la seconde étape. La chaleur se fait plus intense, et à chaque bruissement du contact entre l’eau et les pierres chaudes, c’est d’autant plus de vapeur brûlante qui vient caresser notre peau. La respiration se fait difficilement, tant il nous est étrange d’accepter laisser la vapeur brûlante pénétrer nos voix respiratoires. Il faut accepter cette douleur en silence, comme le rappelle le shaman, après que certains participants commencent à geindre d’une douleur peu habituelle mais surmontable et surtout non nocive, finalement. Les corps dégoulinent de transpiration, des gouttes tombent même du toit de la hutte et des flaques de transpiration mélangée à la vapeur se forment au sol. Je comprends bien ici l’aspect du nettoyage corporel. De la même façon qu’un sauna pourrait le faire à des degrés moindre, le temazcal a cet effet sur le corps que de le purifier, de le débarrasser des toxines et des métaux lourds qui s’accumulent par notre vie quotidienne polluée, comme le plomb, le mercure ou le zinc. Comme pour la première étape, chants et musique nous accompagnent dans cette épreuve. Au bout d’un certain temps, la hutte s’ouvre de nouveau et nous permet une aération bienvenue.
Sortir de sa zone de confort
La troisième étape est particulièrement forte et difficilement soutenable tant j’ai l’impression d’avoir la peau et mes narines qui brûlent, m’obligeant par moment à baisser la tête et à mettre mes mains devant mon nez pour atténuer la chaleur. Pourtant, tout cela n’est que sensation, en aucun cas il ne s’agit de réelles brûlures, mais simplement d’une situation physique inconfortable dont nous ne sommes pas habitués. Il s’agit aussi de tester sa résistance et de faire confiance en nos capacités physiques, de sortir de notre zone de confort. Cette expérience peut être vécue à différents degrés, selon l’évolution mentale de chacun. L’expérience physique et le nettoyage corporel est incontestable pour tout le monde. Ensuite, pour les participants plus aguerris à la méditation, cette expérience peut revêtir une dimension spirituelle. Etre dans un état méditatif permet de se connecter à un plan supérieur. N’ayant pas l’habitude de pratiquer la méditation et le lâcher prise, je ne parviens pas à atteindre ce travail sur l’esprit. Certains y parviennent et peuvent ressentir des connexions particulières. Cette troisième étape m’est très éprouvante physiquement. Je commence à avoir la tête qui tourne et je sens mon corps s’affaiblir, diminué de son énergie et je redoute la dernière étape à venir. L’ouverture est un moment de soulagement mais la vapeur ne semble pas hâtive de quitter la hutte. Nous sommes quasiment tous allongés le temps de cette intermède, à la recherche de la fraicheur se trouvant au ras du sol.
Mourir pour mieux renaitre
Pour entamer cette dernière étape et la dizaine de pierres supplémentaires, je décide d’orienter différemment ma pensée. Au lieu de penser que cette étape sera pire que la précédente, je me persuade qu’elle sera soutenable, et que je suis assez fort pour supporter ce moment qui risque d’être encore plus intense mais qui s’arrêtera à un moment donné quoi qu’il en soit. Aucun intérêt à abandonner si prêt de la fin. Il peut arriver que des participants quittent prématurément la cérémonie, mais ça ne sera pas le cas aujourd’hui. Comme prévu, la chaleur monte encore d’un cran, atteignant les 50 ou 60 degrés. Les chants du shaman se font plus puissants et nous les reprenons en coeur ou en les fredonnant de plus en plus fort, ce qui créer un élan vibratoire puissant à l’intérieur du dôme, permettant une connexion particulière à la limite de la transe et de supporter la difficulté physique. Chacun vit cette expérience à sa manière, certains font face à des émotions enfouies, d’autre se libèrent de blocages émotionnels. Un des participant se sent pris de malaise mais l’assistante du shaman vient le soutenir et l’aider à se concentrer sur sa respiration. Mourir pour mieux renaitre, comme le veut la tradition du temazcal. La durée de cette dernière étape sera plus courte que les précédentes et c’est le soulagement que je ressens à la faible lueur pénétrante dans la hutte, noyée sous la vapeur encore dense, mais signifiant ainsi la fin de la cérémonie. Pendant de longues minutes le dôme se fait encore étouffant mais de plus en plus respirable. A tour de rôle nous sortons en respectant le sens inverse des aiguilles d’une montre et posons de nouveau notre front au sol en guise de gratitude envers la Terre sacrée.
Se découvrir spirituellement
Au sortir de la hutte, les énergies sont positives, comme un sentiment de bien-être et de paix. Nous passons ensuite sous une douche froide purificatrice, bénite par le shaman, puis nous nous mettons de nouveau en arc de cercle autour du feu, comme en début de cérémonie, puis prennent la parole ceux qui le souhaitent, afin d’exprimer leurs ressentis. Il y a comme une communion entre tous les participants, réunis autour d’une expérience intense vécue collectivement, avec une énergie puissante émanant de chacun, et de tout ce cérémonial mélangeant prières, musique, chant, plantes médicinales, pierres sacrées, souffrance physique… Tout cela peut paraitre mystique pour celui qui vit dans le pragmatisme de la limite de ses connaissances et de ce qui est matière, mais il existe aux confins de chacun d’entre nous une partie plus mystique. Libre à chacun de la développer ou non. Cette dimension spirituelle permet de se connecter à un plan supérieur, quelque chose d’invisible mais de très puissant, et ne peut être que bénéfique sur le plan mental, psychologique et émotionnel et peut ouvrir la porte à un champ de connaissances infinies sur soi et sur tout ce qui nous entoure, autrement dit la vie. Mon expérience personnelle aura été essentiellement physique, mais je pense renouveler l’expérience dans quelque temps, afin de m’approcher de l’aspect spirituel. C’est quoi qu’il en soit relaxé et physiquement purifié que je sors de cette première expérience positive du temazcal, qui restera un moment puissant et enrichissant.