1er jour :
Me voici enfin débarqué dans le village de Mocoa après un périple digne d’une fiction d’aventure où le personnage principal serait venu chercher sa quête à l’autre bout du monde. Je passe de Cancun, son soleil, ses plages et son atmosphère de vacances, à un petit village qui est la porte d’entrée de la forêt amazonienne, dont les seuls intérêts sont les départs depuis sa petite gare routière vers les profondeurs de la nature luxuriante de la région. En trois jours, je suis donc passé de Cancun à Medellin, puis de Medellin à Puerto Asis, en transitant par Cali, à bord de deux avions minuscules d’une cinquantaine de places, puis le troisième jour, de Puerto Asis à Mocoa, par voie routière, au cours d’un trajet final de deux heures.
Arrivé à 10h30, je suis accueilli par Carlos, l’organisateur de la retraite, ainsi que le taita (chaman) Gonzalo, que j’avais déjà rencontré lors de mes précédentes cérémonies, deux mois plus tôt. Direction la maison du taita, afin de me poser et de faire connaissance avec Carlos. Cela fait une dizaine d’années qu’il expérimente le yagé (autre nom de l’ayahuasca). Depuis peu, il dédie sa vie professionnelle à la préparation de soins via les plantes, en suivant des recettes traditionnelles. Il est dévoué à sa passion et partage avec enthousiasme son respect et son amour de la médecine traditionnelle.
En fin d’après-midi, nous partons pour le centre-ville afin de récupérer un taxi qui nous emmènera sur notre lieu de résidence durant les 5 prochains jours, une finca, celle de la soeur du taita, se trouvant à une trentaine de minutes de Mocoa. Avant de partir, nous retrouvons les autres participants de cette retraite. Je retrouve avec joie Julia, l’organisatrice que j’avais rencontrée il y a deux mois, à Santa Elena, et qui m’a appelé à la hâte il y a juste une semaine, afin de me proposer de venir me connecter une nouvelle fois avec la medecina. Elle m’apprendra quelques heures plus tard que sa proposition n’était pas anodine, lors d’une récente cérémonie de yagé, elle m’a vu en vision et a compris que la medecina m’appelait, elle a donc été, comme elle le dit, un canal, afin de me faire passer le message. Et effectivement, lorsque j’ai entendu sa proposition la semaine précédente, j’ai été submergé par un enthousiasme et un honneur de me voir proposer de venir ici-même, où vit le chaman, sur une terre très riche énergiquement, et où la tradition chamanique est fortement implantée.
Julia est accompagnée d’un groupe de 6 Colombiens qui se connaissent et qui vont découvrir pour la première fois l’ayahuasca. Nous serons donc un petit groupe de 10 personnes, ce qui est idéal, afin de ne pas avoir trop d’énergies différentes et cela nous permettra ainsi de tirer les bénéfices d’une proximité de groupe. Arrivés vers 18h à la finca, nous découvrons un environnement à la hauteur des événements à venir : à une dizaine de minutes d’une route secondaire, autrement dit éloigné de toute perturbation sonore, la finca est entourée d’une rivière, d’une terrain dégagé et d’une forêt alentour riche de trésors naturels : bananiers, bambous, arbres fruitiers et autres arbres exotiques, une dizaine de poules, 3 chiens et tous les autres animaux peuplant les lieux, comme les oiseaux, insectes… Un cadre parfait pour une retraite d’ayahuasca. Dans le jardin se trouve la maloca, un espace couvert où se déroulent traditionnellement les cérémonies.
Etant donné l’heure tardive d’arrivée, la fatigue accumulée par tout le monde et le fait que tous, sauf les organisateurs et moi-même sont néophytes, le taita préfère reporter la première cérémonie prévue initialement ce soir à demain matin, ce sera donc une cérémonie de jour, ce qui me laisse perplexe, je pensais que les cérémonies ne se faisaient que de nuit. En attendant, chacun prend possession de sa chambre. J’ai la chance d’avoir une chambre seul, certes rustique, sans porte, mais avec un accès direct sur le cadre naturel. Allongé, je peux ainsi contempler la luxuriante nature de la finca. Immersion totale.
La fille du taita sera également présente la plupart du temps, en charge de nous régaler des petits plats à base de poulet, poisson et légumes. C’est donc en dînant que je fais connaissance avec le groupe, en parlant de l’expérience à venir, mais aussi de mes expérience précédentes. Ils ne semblent pas trop appréhender la cérémonie à venir et l’ambiance est détendue.
Après le diner, Julia me propose de me joindre à elle et Carlos afin de prendre du rapé, ce mélange de tabac et diverses herbes, propulsé par un souffle léger dans les narines, afin d’aider à la concentration et la connexion, permettant de travailler sur l’ouverture de la glande pinéale. 22h, il est temps pour moi d’aller me coucher afin d’être prêt pour le réveil à 6h, le lendemain.
2ème jour :
Difficile d’imaginer à quoi ressemblera la cérémonie d’aujourd’hui. Les deux seules cérémonies auxquelles j’ai assistées se sont faites de nuit, dans une atmosphère particulièrement mystique, à la lumière des bougies, du feu extérieur et de la lune. A 7h, le soleil est bien levé quoiqu’encore discret, et caché par les nuages, partie intégrante de la météo de la région. C’est donc à jeun, que nous nous dirigeons vers la maloca, où nous attend le taita. La maloca est organisée sommairement : dans un coin est allumé le feu, indispensable à une cérémonie de yagé, au centre sont disposés quelques matelas permettant de nous allonger lorsque nous serons physiquement affaiblis, et de l’autre côté une grande table sur laquelle sont disposés les accessoires du chaman : des spray constitués de mélanges de plantes, de l’eau de vie, des bouquets de plantes servant au nettoyage, le petit verre dans lequel sera servi le yagé, et la grande bouteille de 2 litres remplie au maximum, initialement contenant du soda, mais ici remplacé par la fameuse mixture entre la liane d’ayahuasca et la chacruna. Les doses servies étant minuscules, cette bouteille a de quoi permettre quelques dizaines de cérémonies.
Contrairement à mes deux cérémonies précédentes, nous ne disposons pas chacun d’un matelas, mais d’une chaise rudimentaire, ce qui me laisse sceptique quand au fait de devoir rester assis plusieurs heures, après même que la medecina sacrée ait fait son effet. Je crains qu’on ait à devoir se serrer à un moment donné, pour tous tenir sur les 3 matelas posés au sol. Cette fois-ci, pas de seau pour vomir, la nature se prêtera volontiers à accueillir notre purge à venir. Seule difficulté, les toilettes, se trouvent à la finca, soit à quelques dizaines de mètres, sur un chemin un peu glissant, ce qui risque d’être délicat lorsque le yagé aura pris possession de notre corps, nous rendant fébrile physiquement.
8h, le moment devient solennel, le chaman débouche la bouteille, cite des incantations pendant quelques dizaines de secondes, et finit par souffler sur la bouteille, avant de remplir le minuscule verre en bois et de demander à chacun de venir à tour de rôle. Une fois le verre en main, avec respect et foi, je ferme les yeux, me concentre sur mon intention, puis dépose le verre sur mes lèvres afin de verser d’un coup le liquide âpre et amer dans le fond de ma gorge. Son goût particulier ne m’est pas inconnu, l’ayant expérimenté il y a deux mois. J’ai la sensation qu’il est impossible à oublier. Une saveur très forte. L’avaler sans faire paraitre une grimace est de l’ordre du défi. Généralement, un rinçage à l’eau juste derrière permet d’aider son passage dans l’oesophage.
Une fois ces quelques centilitres dans le corps, nous retrouvons nos chaises et laissons faire les choses, dans le calme complet, comme dans une concentration collective, seuls les bruits de la nature autour de nous animent le moment. Ayant préféré vivre le moment de manière déconnecté, je n’ai pas de montre et il m’est difficile de dire combien de temps passe avant que nos estomacs commencent à s’agiter. Une sensation désagréable s’empare peu à peu de nous. Les premiers effets deviennent concrets chez certains, et la purge commence peu à peu. C’est à ce même moment que la musique commence, nous accompagnant dans ce moment de connexion intense entre le yagé et notre corps, comme une rencontre violente, un choc entre un nettoyant naturel surpuissant venant se confronter à nos excès accumulés, qu’ils soient d’ordre alimentaire ou chimique. Les nausées deviennent plus fortes, devenant incontrôlables pour tout le monde. Il est peu de sensations aussi désagréables que celle de vomir, et c’est encore plus étonnant lorsque l’on est à jeun, on se demande ainsi ce que l’on peut régurgiter. Puis, Carlos et le chaman commencent à jouer de l’harmonica, un rythme envoûtant et apaisant donnant un caractère mystique à ce moment, où se mélangent souffrance physique et douceur sonore. On dit de l’ayahuasca qu’elle permet une mort spirituelle avant une renaissance et cette alternance sonore entre le mal et le bien semble être l’analogie parfaite de cette mort suivie de la renaissance.
Une fois purgé, notre corps est emballé par un effet physique très désagréable. Des nausées toujours présentes avec le risque de se purger une nouvelle fois à tout moment, mais aussi un mal-être général, difficile à expliquer, une faiblesse physique incroyable, comme si la medecina venait dans chaque recoin de notre corps pour l’assainir, rendant quasi impossibles nos mouvements, chaque geste nécessitant des efforts qui paraissent surhumains. Se tenir debout et marcher relève ainsi du défi. La nausée au bord des lèvres et le corps fragilisé, il devient de plus en plus difficile de rester assis sur la chaise et encore moins de se tenir droit. Pour ma part, je prend la direction des matelas pour m’allonger et trouve un espace, petit, mais suffisant pour m’y recroqueviller et attendre que l’effet indésirable passe. A ce moment, je me demande ce que je fais ici, ayant déjà connu ce moment difficilement soutenable il y a deux mois, et me disant qu’il y aura deux autres cérémonies à venir ces prochains jours. Je me mets d’ailleurs à penser que je ne vais peut-être pas participer aux suivantes tellement ce moment est difficile et désagréable. Positionné sur le côté, je garde difficilement les yeux ouverts mais en même temps je ne peux pas les laisser fermés et dormir, mon corps a besoin de se mouvoir, d’essayer de trouver la position la moins inconfortable possible, je bouge les jambes, me retourne, me recroqueville davantage, espérant que l’effet se dissipe bientôt.
Je ne suis évidement pas le seul à connaitre cette rencontre violente avec le yagé, tout le monde est dans le même état, certains souffrent davantage et se purgent à de très nombreuses reprises. Heureusement que pendant ce temps, la musique nous accompagne. De l’enceinte sort de la musique médicinale très douce, nous permettant d’apporter un certain apaisement bienvenu en ce moment très éprouvant.
Après une durée difficilement estimable, peut-être 30 minutes ou une heure, je me sens légèrement mieux, les nausées ont disparus mais je suis toujours très faible physiquement, avec des bâillements incessants et incroyablement profonds. J’essaye de me mettre en position assise, sur le matelas, puis rejoins finalement ma chaise où j’essaye de me concentrer afin de me relaxer et de méditer. Pour vivre l’expérience la plus complète possible de l’ayahuasca, il est important de ne pas juste se livrer à la medecina, et attendre qu’elle fasse son travail. Idéalement, il faut l’accompagner avec une force qu’il faut trouver à l’intérieur de nous. Rester concentré, essayer de faire abstraction de la difficulté physique, se dire que tout va passer, que la medecina est en train de nous soigner, en être reconnaissant et se concentrer sur ses intentions. Avoir la foi, demander à la medecina de travailler ce sur quoi nous souhaitons qu’elle travaille, même si au final c’est elle qui décide.
Il est sûrement très difficile de concevoir le fonctionnement de la medecina, et encore plus pour quelqu’un ne l’ayant jamais expérimentée, mais elle sait exactement quoi faire avec notre corps et notre mental. C’est pour cela que chacun vit sa propre expérience et que d’une personne à une autre, cette expérience peut être complètement différente. Pour certains elle peut soigner des traumatismes anciens, pour d’autres elle peut travailler sur le mental ou le coeur, dans tous les cas son travail est centré sur les énergies négatives avec pour objectif de les expulser du corps. Les énergies négatives étant variables d’un individu à un autre, la forme y sera forcément différente. La seule recommandation est de se livrer et de faire confiance. Lorsque l’on se sent mal, c’est que la medecina est en pleine action, il faut donc la laisser agir, et si possible l’accompagner grâce à des pensées positives. C’est pour cela qu’il peut être intéressant de se concentrer et de méditer. Cela permet également de nous apporter les autres bénéfices, qui peuvent être des visions ou l’activation de la DMT présente originellement dans le corps. Cette substance naturelle, endormie, et qui se réveille grâce au contact avec la DMT présente dans le mélange des molécules des 2 plantes, l’ayahasca et la chacruna. Cette DMT qui peut nous permettre un voyage doux et psychédélique en nous connectant avec un monde invisible mais qui existe bel et bien, où les sens sont en parfait éveil et permettent une connexion profonde avec la nature. Mais cette expérience est difficile à atteindre, surtout lors des premières prises de yagé, étant donné qu’il a pour mission première de purger le corps.
Les premiers effets physique indésirables étant passés pour quasiment tout le monde, nous passons à la deuxième toma, la deuxième prise, pour une seconde purge. S’ensuivent les mêmes difficultés, avec une réaction plus rapide, la première fois ayant permis de nettoyer pour les passages suivants. Dans mon cas, l’effet est toujours très inconfortable, avec la purge qui se fait quelques minutes après seulement. Il doit être aux alentours de midi, et je me rends compte qu’il est plutôt agréable d’effectuer une cérémonie de jour, car l’oeil et l’esprit ont de quoi s’occuper avec la richesse de la nature environnante, qu’elle soit visuelle ou sonore. J’essaye de profiter de l’instant et de me concentrer en méditant sur une chaise, avec les paumes ouvertes face au ciel. A un moment, je sens dans la paume de ma main gauche un insecte, j’ouvre les yeux et j’aperçois une araignée de quelques centimètres. Mon esprit est un légèrement vaporeux, je bouge ma main, l’araignée saute puis disparait. Impossible de savoir s’il s’agissait d’une vision car tout me semblait très réel. Vision ou pas, je pense que rien n’est dû au hasard. En tant qu’humain aseptisé depuis de nombreuses décennies et même siècles, nous avons pour la très grande majorité, oublié notre connexion avec la nature, avec notre énergie et celle des autres. Notre glande pinéale, centre de notre intuition, n’a par exemple, jamais été aussi petite et fermée, alors qu’il y a des siècles, des millénaires, elle était au centre de nous-même et de nos actions. Si elle est représentée dans quasiment toutes les civilisations antiques, dont la plus ancienne, la civilisation égyptienne, c’est qu’elle a été pendant très longtemps un facteur dans notre évolution et la connexion avec les autres et la nature, nous permettant d’ouvrir le fameux troisième oeil. Les animaux, eux, ont encore cet instinct. Il suffit de voir comment les groupes d’oiseaux arrivent à voler en synergie parfaite sans se heurter, comment des tortues parviennent à retrouver leur lieu de ponte des décennies plus tard, comment les fourmis arrivent à se synchroniser avec leurs congénères, et d’autres exemples très nombreux. Je pense donc, même si cela peut paraitre déroutant pour les plus cartésiens, que cette araignée, s’il ne s’agit pas d’une vision, n’est pas arrivée dans ma main par hasard. Comme le serpent elle est un symbole fort de représentation dans le chamanisme. A moi de trouver son sens et son interprétation…
Une fois les effets s’affaiblissant, le chaman demande à qui le veut bien, de prendre un troisième verre. J’irai me présenter devant lui pour le troisième shot de yagé de la journée. Mon objectif étant de repousser mes limites et d’affronter les difficultés, cherchant ainsi à devenir plus résistant et plus connecté avec la medecina. C’est d’ailleurs une sensation très forte de se dire que cette plante quasi-magique pour l’esprit rationnel que je suis est à l’intérieur de moi, en connexion profonde avec mon corps et mon esprit, et qu’elle va travailler encore des jours et des semaines, afin de continuer à m’assainir. Ça en devient même un honneur et un privilège de penser à cette connexion que je suis en train d’établir avec l’esprit de la nature.
Le troisième verre aura le même effet purgatif que les deux précédents et m’affaiblira énormément physiquement mais la difficulté en devient relative ou peut-être suis-je en train de m’habituer à souffrir. C’est donc majoritairement sur le matelas que je passerai ce moment post-troisième toma. Vers 15h, je commence à me sentir mieux, quelle sensation agréable de voir que le mal est en train laisser en paix notre corps. Bien que faible je me sens apaisé et pars rejoindre les autres pour le déjeuner, que chacun savoure à sa juste valeur, la faim nous ayant assailli.
Il est prévu que l’on fasse la seconde cérémonie le soir-même ! Aux alentours de minuit, dans une atmosphère donc totalement différente. Pour cela il est nécessaire de dîner au plus tard à 17h. C’est donc deux heures après notre repas que nous reprenons une nouvelle fois des forces, et dans mon cas, je suis étonné de voir que mon appétit est bien présent deux heure à peine après le déjeuner. D’ici au début de la seconde cérémonie, il nous reste quelques heures, le temps de se reposer un peu. Il m’est impossible pour moi de fermer l’oeil, mais juste le fait d’être allongé avec la vue sur la nature est relaxant. Et je me surprend alors à être ultra motivé pour la seconde cérémonie alors que quelques heures avant je me demandais ce que je faisais ici et pensais même à ne pas aller plus loin. Mais mon mental est finalement orienté différemment après l’expérience d’aujourd’hui. Je sais que cela sera une nouvelle fois très dur, mais je suis prêt, je suis même déterminé, à affronter ces difficulté. Sans savoir pourquoi cette détermination m’anime, j’ai envie, et besoin, d’aller plus loin dans mon expérience, de me confronter une nouvelle fois à la difficulté physique puis mentale, avec comme objectif d’en ressortir plus fort. Ce sentiment est difficile à expliquer, mais je considère l’expérience de l’ayahasca comme une épreuve, un apprentissage, une dépassement de soi qui ne peut que nous fortifier.
A minuit, on se prépare pour la seconde cérémonie, qui aura lieu sur la terrasse de la finca et non pas dans la maloca, l’accès depuis la maloca aux toilettes de la finca étant difficile, et encore plus la nuit, le chaman préfère ainsi la terrasse pour plus de commodité, d’autant que la pluie a rendu le chemin encore plus glissant. Bien que la terrasse soit ouverte sur la nature, l’atmosphère est différente, nous sommes plus proches les uns des autres, plus de matelas sont disposés par terre et l’éclairage se fait à la bougie uniquement.
Ce soir, l’effet est particulièrement puissant. Les énergies nocturnes sont différentes et nos corps sont déjà nettoyés en partie, c’est pour cela que les premières purges arrivent très rapidement, au bout d’une vingtaine de minutes à peine, et chez quasiment tout le monde en même temps. Nous voici donc alignés, en-dehors de la terrasse, à se purger une nouvelle fois. Cette sensation est difficilement explicable. Lors de ma première expérience il y a deux mois, mon corps avait refusé la purge, malgré deux verres et des nausées je n’avais pas vomi, ne souhaitant pas affronter la difficulté physique de la purge, ce moment tant désagréable où l’on a l’impression de mourrir. Cette fois, je me surprends d’accepter cette purge et de comprendre son intérêt bénéfique, je me livre complètement à l’expérience, chose que j’avais totalement refusé à l’époque.
S’ensuivent les mêmes conséquences physiques après la purge, le corps qui n’accepte pas d’être debout et qui demande de relâcher tous ses muscles, me voici donc une nouvelle fois allongé sur le matelas mais je n’y resterai pas si longtemps, je trouve enfin la force de me lever et de m’assoir sur la chaise, en essayant de me concentrer. L’effet indésirable s’estompe peu à peu et malgré une fatigue omniprésente je commence à me relaxer et à apprécier le moment, et encore plus lorsque je vois venir deux musiciens, dont le gendre du taita, avec de nombreux instruments à vent, une guitare et un tambour. Je souris d’avance du moment que l’on va vivre. Tout le monde est allongé sur le matelas, seuls les organisateurs et moi trouvons la force d’être réveillés au moment où la touche de musique médicinale prend possession de l’atmosphère. L’ambiance est alors magique, je savoure comme ils se doit la chance d’écouter la magnifique voix du chanteur et la musique douce et envoûtante qui entraine Julia et Carlos dans une danse douceâtre. Je suis physiquement et mentalement en excellente condition et me positionne en face des musiciens pour savourer au mieux ce moment.
La musique est un élément indissociable d’une cérémonie d’ayahuasca. Et lorsqu’elle est faite en live, elle est encore plus puissante, les vibrations des instruments et de la voix pénètrent davantage nos sens et notre corps. La musique médicinale a cette force d’avoir une fréquence vibratoire rentrant en consonance avec notre énergie corporelle. Le moment est savoureux. Tellement, que je demande au chaman de reprendre un deuxième verre, me sentant prêt à affronter ses conséquences. Je suis le seul à prendre ce risque. Et j’en assume les conséquences lorsque 30 minutes plus tard je suis pris de nausées difficilement expulsables et me donnant physiquement un nouveau coup de massue. Mais mentalement je vais bien, c’est ici l’essentiel.
Aux premières lueurs du jour, je suis toujours allongé sur le matelas, le mal-être physique ayant disparu mais la fatigue toujours présente, je suis engourdi, dans un état de douce léthargie mais apaisé et en paix. La finca a repris de la vie, tout le monde va bien, semble en forme et apaisé.
3ème jour :
La troisième cérémonie qui devait se tenir ce soir sera finalement reportée à demain matin. Cela permettra à chacun de reprendre un peu de force, mais aussi parce qu’est organisé aujourd’hui l’anniversaire de la mère du taita. Nous sommes tous conviés à aller à une heure de route de la finca, au bord de la rivière où sera présente toute la famille du taita. Nous arrivons ainsi en début d’après-midi dans un petit coin de paradis. Se succèdent plusieurs moments agréables. D’abord un bain revigorant dans la rivière, bienvenu après la cérémonie de cette nuit. Mon corps se sent revivre au contact de la fraicheur de l’eau pure de la rivière. Puis avec Carlos je vais chercher des poissons que l’on ne peut faire plus frais, tout juste pêchés devant nous, avant de manger un premier repas puis d’assister à la cérémonie d’anniversaire des 80 ans de la mère du taita. Pour l’occasion des musiciens (dont l’un a joué pour nous cette nuit) offrent un très beau moment musical à l’arrière-grand mère mais aussi à toute l’assistance, soit une soixantaine de personnes. Très beau moment, la musique étant un vecteur d’émotion très fort. Enfin, nous nous délectons de poissons frits, pêchés il y a moins de deux heures. Après une diète stricte d’une semaine, nécessaire avant une cérémonie d’ayahuasca, j’ai l’impression de la casser un peu en ce jour de fête, avec nourriture excessive, bière et gâteau d’anniversaire. Le tout sous le regard du taita qui valide ces petits excès, et en profite également, je me dis donc que cela n’aura pas d’impact néfaste pour la dernière cérémonie, du moins je l’espère.
Ce soir, tout le monde se couchera relativement de bonne heure, afin d’être le mieux préparer pour la cérémonie du lendemain matin. Pour ma part, si je dois faire un premier bilan, je reste un peu sur ma faim concernant les deux premières cérémonies. Avec un total de 5 verres bus, je n’ai pour le moment vécu que des purges physiques. Aucune vision, si ce n’est peut-être celle de l’araignée du premier jour, ni d’état de conscience modifié. Seulement un nettoyage corporel qui me sera salutaire ces prochaines semaines, l’ayahuasca permettant de libérer de la sérotonine durant plusieurs semaines. C’est donc avec une optique un peu particulière ce matin que je me dirige le premier vers la maloca, d’un pas déterminé et motivé. Après m’être longuement documenté ces dernières semaines, et sur les conseils de Carlos, j’ai décidé de tout faire pour ne pas vomir, ni de prendre d’eau après la toma.
8h, nous voici à jeun, et plus que cela même car notre dernier repas remonte à hier, à 17h, nous nous présentons un à un devant la taita pour la troisième cérémonie. Le verre à la main, les yeux fermés, mon intention cette fois est moins spécifique que les précédentes, comme me l’a conseillé Julia, je demande ainsi la sagesse, la connaissance, le discernement et une connexion spirituelle. Je porte mon verre à la bouche et avale son contenu d’un coup. Rien que de l’écrire, le goût âpre me remonte au palais. Toujours cette saveur si particulière et terriblement forte. Je décide de verser quelques gouttes d’eau dans ma bouche afin de nettoyer légèrement certaines parois de ma bouche puis recrache le tout. Je ne souhaite avoir que le yagé dans mon estomac et rien d’autre.
Je m’assois ensuite sur une chaise, près du feu, je me relaxe, puis peu à peu j’essaye de me concentrer de plus en plus, de garder mon dos bien droit, d’avoir mes bras relâchés, de tourner les paumes vers le ciel puis de commencer à prendre de grandes inspirations. Je me concentre et demande à la medecina de me rendre fort et de tout faire pour ne pas me purger afin de garder le plus longtemps possible la connexion entière entre l’ayahuasca et mon corps.
Moi qui ai toujours eu du mal à méditer en faisant le vide, mon mental veillant toujours à venir perturber ces moments d’introspection, j’essaye de me concentrer, les yeux fermés, sur les bruits environnants. Ainsi j’essaye de distinguer tous les sons, qu’ils soient naturels, comme le craquement du bois se consumant sur le feu, celui du bruissement des branches que le vent chatouille, celui des oiseaux et grillons chantant, mais aussi les bruits des participants, quelques paroles, des mouvements… puis bientôt ceux des purges qui commencent à se faire. J’ouvre les yeux, tout en gardant un état de concentration optimale afin d’observer visuellement et non plus uniquement avec mon ouïe tous ces bruits et je vois que tout le monde est pris de nausées. Je reste impassible et commence à m’interroger. J’appréhende de revivre ma toute première expérience d’il y a deux mois, où les effets avait été quasi inexistants, mis à part quelques nausées, car mon corps avait refusé de se livrer à la medecina. Pendant ce temps, les mêmes musiciens de la cérémonie précédente viennent s’installer sous la maloca. Quelle chance d’avoir une nouvelle fois en live cette douce musique médicinale.
Toujours assis, face à la nature, concentré comme jamais, j’attends mes premières nausées, mais au lieu de cela, je ressens autre chose. Je ressens quelque chose de bien différent. Une certaine ivresse très douce comment à monter dans mon esprit. Un relâchement physique, une tranquillité qui s’empare de mon corps et surtout de mon esprit. Je regarde autour de moi, effectue des gestes doux, je me rends compte que je commence à connaitre un autre aspect de la medecina, le plus agréable, celui permettant à mon esprit de s’évader, je commence à comprendre que la DMT fait son effet, mais tout en douceur. Il n’est pas question de vision mais d’une sensation très particulière, qui m’est inconnue, celle d’un apaisement profond. Je suis physiquement un peu faible et lorsque je me lève je me sens vacillant, mais je sens mes sens connaitre quelques chose de différent. Une forte connexion sensorielle me permet de voir et d’entendre différemment. Tout est plus fort, plus clair, plus beau. Je distingue plus facilement les détails des éléments de la nature, comme les feuilles des bananiers ou le chant des oiseaux. Cette ultra perception est très agréable car elle me permet d’avoir un regard plus profond sur cette magnifique nature. Tout en restant ultra conscient de ce qui m’arrive, j’esquisse des sourires de bien-être et savoure ce doux voyage, tout en restant concentré et essayant d’être en position de méditation douce.
La medecina est incroyable. Cela dépasse l’entendement rationnel. Je me mets à penser à son effet magique, mais rien n’est finalement magique car tout est naturel. Nous considérons cela magique car elle dépasse le cadre conventionnel de notre société aseptisée. En ce moment même, la medecina me fait vivre une expérience unique, différente de celle vécue par les autres, car l’expérience est individuelle, la medicina sait exactement quoi faire avec chacun et à quel moment. Comment cela est-possible de vivre une expérience si différente des deux autres cérémonies, alors que le contenu de la bouteille est le même ? Je comprends que tout est un processus. Je comprends que tout vient en son temps. Je comprends alors pourquoi et comment la medecina est venue à moi. Je comprends que Nora aura été un premier messager m’amenant vers la medecina il y a deux mois, puis Julia un second messager qui m’a fait voyager depuis Cancun vers le fin fond de la nature colombienne. J’ai été appelé par la medecina et j’ai suivi avec détermination et foi son appel. Le chemin a été long, depuis ces dernières années. Il a été difficile et éprouvant avec ces 4 premières expériences de l’ayahuasca, avec à chaque fois l’appel du dépassement de soi, cette détermination me poussant à vouloir aller plus loin, à sentir que j’en avais besoin, besoin de me purger de l’énergie négative accumulée depuis des années, besoin de trouver la paix intérieure, celle à laquelle j’aspire depuis que j’ai décidé que je devais prendre les choses en main par la voie spirituelle. Me voici à expérimenter un moment unique, un bien-être profond, et je le prends comme un cadeau merveilleux de la nature, comme une récompense de tous mes efforts pour me sentir mieux, depuis des années. Je comprends enfin que j’arrive au bout de ce chemin qui fut long et difficile, et je suis à la fois honoré et fier d’être parvenu à ce moment de grâce. Je me sens apaisé, je me sens en paix.
Cette sensation dure plus d’une heure, puis le chaman me propose de venir m’assoir pour la purification individuelle. Assis, torse nu, le dos droit mais détendu, je me laisse porter par les incantations du chaman, le son de son harmonica et ses gestes effectués autour de moi, avec un bouquet de plantes qu’il passe sur mon corps jusqu’aux extrémités des mes mains comme pour expulser toutes les énergies négatives restantes. Depuis mon ventre, il évacue ces énergies polluantes, il m’asperge d’une mixture composée de plantes, il recrache une eau de vie au-dessus de ma tête, au-dessus de mes épaules, dans mon dos… Je sens la force de sa purification. Au même moment, depuis sa casserole fumante, Carlos me répand de la fumée de plantes sur mon corps. Je me sens honoré d’être au centre de l’attention du chaman pour sa purification que je sens salutaire. Pendant quelques minutes, peut-être cinq, peut-être dix, je me sens de plus en plus en paix. A mon esprit reviennent certaines épreuves difficiles des ces dernières années qui me font verser des larmes. Mais ce sont des larmes de paix, de gratitude… de libération. Je comprends que j’arrive au bout de ce chemin tortueux, qui fut long et éprouvant. Et je me sens enfin libéré. J’éprouve un sentiment difficilement explicable, le mot qui définit le plus justement mon ressenti à ce moment est : libération. Du fond de mon être. La purification terminée, je prends le chaman dans mes bras et le remercie chaleureusement pour cette libération.
Je savoure ce moment salutaire. Bien qu’encore un peu vacillant, je me sens extrêmement bien physiquement, et dans mon esprit toujours un peu d’ivresse de mon voyage. Je réalise alors toutes les étapes du jour qui ont mené à cette libération : une forte méditation, un voyage doucement psychédélique, puis une purification chamanique, qui auront abouti à cette sensation de libération. Merci à la medecina, l’abuelita ayahuasca, qui a su ce qu’il fallait faire étape par étape, pour arriver à me faire sentir ce que j’étais venu chercher depuis le tout début, il y a deux mois. J’ai alors envie de partager ce moment de libération avec mes proches et je suis content d’avoir mon téléphone afin de partager mes sentiments actuels. J’ai la chance d’avoir Andrea qui m’appelle en video, et sans mot dire je lui fait vivre en direct un moment que j’estime être magique. La vie sous la maloca pendant une cérémonie d’ayahuasca. D’un côté, les musiciens qui de leur musique vibrante font raisonner des ondes merveilleusement positives et de l’autre, le taita procédant au nettoyage d’un participant. Pendant 5 minutes, je partage avec Andrea ce moment intense, tout en me sentant tellement apaisé, et je perçois son émotion sur son visage, c’est un bonheur de partager cette expérience avec elle. Puis je vais de nouveau m’assoir en méditant et savourant cette paix intérieure.
Petit à petit la maloca se vide, aujourd’hui une seule toma aura suffit à tout le monde pour vivre son expérience. Pendant que les participants partent déjeuner, je reste allongé, les yeux ouverts, le sourire apaisé au lèvre, avec Julia, elle aussi qui a vécu une expérience très forte. On savoure ce moment de paix, avec une douce musique ainsi que les sons de la nature, oiseaux, rivière, vent… Quelle aventure incroyable. Quelle gratitude devant cette medecina tellement puissante et bienveillante. Je comprends toutes les personnes m’ayant dit que l’ayahuasca avait changé leur vie. Même si un travail d’intégration des informations est nécessaire à la suite de la cérémonie si l’on souhaite que les changements se pérennisent, je comprends à ce moment là, qu’il y a un avant et un après Ayahuasca.