Des cerfs envahissants
A 7h, mes yeux s’ouvrent péniblement. Une impression étrange de ne pas savoir si j’ai trouvé le sommeil, tant la nuit fut épouvantable. Les paysages bucoliques d’hier soir avec les cerfs des Highlands paissant sur fond de collines et de montagnes colorées ont laissé place à une atmosphère particulièrement hostile une fois la nuit tombée…
Dès 20h, la nuit sombre régnait et semblait mettre en émoi les cerfs, bramant de plus en plus fort et plus fréquemment. Leur timidité mise de côté, ils s’approchèrent de la rivière pour s’abreuver, à seulement quelques mètres de ma tente. Pris de curiosité malgré des bruits pas très rassurants, je décidai de quitter ma tente pour observer l’activité nocturne des alentours. Je fut d’abord pris de surprise par un spectacle exceptionnel : un ciel étoffé d’un nombre infini d’étoiles, laissant apparaitre des voies lactées. Aucune pollution lumineuse à des kilomètres, un ciel épuré de tout nuage, des conditions optimales pour que le ciel m’offre ce moment de pure beauté. De tous mes voyages, seuls les ciels du Lac Titicaca, au Pérou, et de Kyanjin Gompa, au Népal, m’ont permis d’assister à ce genre de spectacle. En balayant l’horizon avec la torche frontale, je ne pu observer qu’une nuit noire jusqu’au moment où la lumière de ma torche se refléta dans une demi-douzaine de paires d’yeux immobiles et rivés sur moi, à environ 20 mètres… Moment troublant où je me sens soudainement bien seul et vulnérable dans cet immensité de noirceur, en pleine nature sauvage, que se sont accaparés les cerfs en rut, bramant de tous les côtés et se rapprochant de ma tente.
Sentiment étrange en pleine nuit lorsque j’entendis des bruits de pas à seulement quelques mètres de ma tente… Pas très rassurant, lorsque seule une double toile, qui me paraissait bien fragile à ce moment, me servait de protection contre des dangers éventuels, ou du moins ceux que l’imagination est encline à instituer dans ce genre de situation. J’étais à ce moment bien loin de pouvoir trouver le sommeil, surtout lorsqu’à intervalle irrégulier s’égosillèrent tous les cerfs du coin, à des distances de plus en plus proches de ma tente… Comme si le vacarme ne suffisait pas à gâcher ma nuit, la température qui ne cessait de dégringoler devenait de plus en plus difficile à supporter, m’obligeant à doubler puis tripler mes couches de vêtements : 2 paires de chaussettes, 2 t-shirts, une polaire, une doudoune, un bonnet, une capuche et des gants. Malgré tout l’attirail, je grelottais par moments dans mon sac de couchage, qui ne laissait apparaitre que mon nez et ma bouche. Un vrai supplice. Je guettais l’heure qui passait, à l’affût du lever du soleil. Ainsi fut ma nuit…
Une fois debout, c’est un autre environnement que la veille qui s’offre à moi : le froid hivernal a recouvert de givre toute la verdure ainsi que la toile de ma tente. Ce n’est que vers 9h que les rayons du soleil dépassent enfin la colline, commencent à me réchauffer et font fondre le gèle formé par le brouillard. Les Highlands offrent à ce moment une atmosphère presque mystérieuse : un mélange de plaines, de collines et de bois aux couleurs orangées, qu’une lourde brume tente encore de dissimuler, malgré le lever du jour.
La marche est agréable. Elle me fait traverser des collines et m’offre une vue dégagée très lointaine. Je suis ici sur l’un des tronçons les plus reculés de la randonnée, même si je distingue au très loin la route reliant Fort William à Glasgow. Mes tendinites aux talons s’accentuent dans les montées. Je pense parfois à finir prématurément mon trek, tant la douleur est vive lorsqu’elle se manifeste. J’aviserai plus tard, pour le moment, aucune échappatoire n’est possible, je dois avant tout terminer l’étape du jour.
C’est finalement 4h après mon départ que j’arrive à la petite station de ski proche de Kinghouse, offrant un coin camping. Je m’installe au chaud dans l’établissement pour terminer ma journée et je décide finalement de continuer encore au moins l’étape de demain, qui m’amènera au point culminant de la West Highlands Way, The Devil’s Straircase, l’escalier du diable (548m) et son ascension de 560 mètres.