Le corps humain a une facilité d’adaptation remarquable. Au réveil d’une troisième nuit passée à même le sol, avec une bâche protectrice, le dos ne semble pas nous en vouloir de ce confort rudimentaire. Johnny nous avoue qu’il dort mieux dans la jungle que dans son lit habituel ! Je ne confirmerai ses dires mais la qualité de notre sommeil progresse.

Une traque matinale

Nous sommes sur le pied de guerre dès 7h30 pour tenter de retrouver les orangs-outans que Sidonie et Paul ont aperçu avec leur guide Saïd, hier en fin de journée. Il nous faut presser le pas si l’on souhaite les voir avant leur départ vers un autre lieu où ils feront un nouveau nid pour la nuit à venir. Le programme du matin est donc de faire l’aller-retour en compagnie de Saïd pendant que Johnny et Salim s’attèlent à démonter le camp pour notre retour à Ketambe, prévu en fin de journée et sonnant la fin de notre trek.

Les trente premières minutes sont éprouvantes, entre montées et sol glissant, l’effort mériterait d’être récompensé… Notre guide Saïd excelle dans l’art de l’orientation dans une végétation dense où il semble connaitre chaque arbre et se déplace hors des sentiers battus avec facilité. Il retrouve sans peine la trace des orangs-outans de la veille : une mère avec deux petits se déplacent à la recherche de nourriture, à une trentaine de mètres de nous, en hauteur.

Des efforts récompensés

Enfin récompensés de ces quatre jours de trek, nous sommes souriants devant cet animal endémique et majestueux qui est malheureusement menacé d’extinction. Si la situation de la déforestation reste inchangée, les orangs-outans risquent de disparaitre d’ici une vingtaine d’années. La mère et ses petits semblent à peine curieux de notre présence et sont davantage préoccupés par la recherche de leur nourriture.

Il est très courant de voir des femelles avec leurs petits car les orangs-outans ne deviennent autonomes qu’à partir de huit ans. Nous essayons de suivre leur progression mais leur aisance à se déplacer dans la canopée n’est pas réciproque pour nous au sol, sur un terrain au relief vallonné où les glissades et les feuillages denses compliquent notre avancée. Les vingt minutes passées à suivre ces géants oranges passent vite, et leur éloignement progressif nous contraint à revenir au camp pour terminer nos bagages.

Après notre départ du camp, nous ne marchons qu’une heure avant de nous arrêter dans un autre camp, lorsque le soleil est à son zénith. Nous attendons une baisse de la température en déjeunant, en se baignant et en jouant aux cartes.

Le chemin du retour vers le village de Ketambe est modifié par la présence annoncée d’orangs-outans dans une zone précise, par un autre guide croisé il y a deux jours. Nos guides nous tracent le chemin la tête orientée vers la canopée à le recherche du moindre mouvement. Nous préférons garder le regard vers le sol afin d’éviter de nouvelles glissades.

Et au-dessus de nos têtes…

Et soudain… les géants roux se montrent : une mère avec son petit, puis un mâle, plus difficile à voir de part sont immobilité. La femelle et son enfant se déplacent avec grâce et lenteur entre les arbres, en prenant soin de toujours choisir la branche qui ne cédera pas. Nous nous sentons privilégiés de voir ces magnifiques primates, qui se font de plus en plus rares dans leur environnement naturel. Menacés d’extinction par la déforestation massive, les futures générations n’auront probablement pas la chance de les observer ainsi. Malheureusement, ce constat relève plus du réalisme que du pessimisme.

La chance et l’excellente connaissance de l’environnement de Johnny et de son équipe nous ont permis de vivre un moment fort en suivant les orangs-outans durant une vingtaine de minutes. Le plus étonnant est leur proximité avec le village de Ketambe, qui se trouve seulement à 30 minutes de marche.

La déforestation, un constat alarmant

Sur le retour vers le village, nous traversons des zones de déforestation où les cultures ont remplacé la végétation de la jungle. Cela nous permet de mesurer l’envergure du problème, avec les différentes cultures qui s’étalent, notamment celle du cacao, qui est la plus destructrice, devant celles de l’huile de palme, du café, du maïs et du bois. Johnny est attristé lorsqu’il dresse le constat de la situation écologique. Des zones qui étaient autrefois au cœur de la jungle lorsqu’il était enfant ont été transformées en routes et plantations.

Le manque de coordination entre le pouvoir central de Jakarta et celui, local, de l’ile, ajoutée à la corruption et la rafle des terres par des riches firmes étrangères ne vont pas dans le sens de l’amélioration. Ce qui est dramatique est de savoir que des hommes vivent dans des secteurs vierges de la jungle d’après les dires de Johnny et que leur futur semble tout aussi compromis que celui de la faune locale. Au-delà de la volonté d’observer les orangs-outans chez eux, c’était aussi pour mieux comprendre cette réalité que nous souhaitions venir dans cette magnifique jungle de Sumatra.

Retour à Ketambe et fin du trek

A 17h, nous retrouvons la civilisation, celle toute relative du petit village de Ketambe. Nos quatre jours de trek auront été une expérience unique, malgré les appréhensions du début et la première nuit d’adaptation. Évidemment, l’inconfort était omniprésent, les sangsues et les moustiques ne manquaient pas de rendre le séjour plus exotique, mais l’immersion dans un endroit naturel encore préservé, la rencontre avec les animaux et le quotidien rudimentaire nous ont fait vivre l’aventure attendue, qui fut d’autant plus appréciée que Johnny et son équipe ont fait preuve de professionnalisme et nous ont partager leur amour de la nature et de leur jungle.

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