Un dernier tronçon
Le dernier tronçon du trek n’est ni le plus long, ni le plus dur mais un dénivelé de plus de 1 000 mètres nous rapproche peu à peu des cieux. Kyanjin Gompa est situé à 3870 mètres. Seulement 2h30 d’efforts devraient être nécessaires. Il est donc inutile de partir trop tôt ce matin. Cependant mes yeux s’ouvrent à 6h, habitués par le rythme des jours précédents. Les nuits au cours d’un trek sont à la fois courtes et longues. Un coucher se fait généralement vers 20h-21h et le lever environ 9h-10h plus tard. De quoi à priori reprendre des forces. Mais les nuits ne sont pas véritablement récupératrices car le sommeil profond de plusieurs heures peine à s’installer. Entre l’altitude, le froid, le bruit, le confort spartiate et les muscles qui lancent, pas facile de rejoindre Morphée très loin dans les songes.
A 6h je me précipite à l’extérieur afin de capter les premières lueurs du soleil, encore caché par des pics mais distribuant peu à peu sa magnifique lumière orangée sur les montagnes opposées. Le village se réveille, les chevaux jouent les curieux devant mon appareil photo, les hôtes s’attellent aux premières tâches, dont la préparation des petits déjeuners des trekkeurs.
Malgré deux premières journées bien riches en efforts physiques nos jambes se sentent bien en ce début de marche. Nous sommes toujours accompagnés de notre porteur jusqu’à ce soir. Le parcours est plaisant et le chemin se fait avare en montées abruptes, pour notre plus grand soulagement. Progressivement, la vallée s’élargit et les montagnes enneigées se révèlent davantage et deviennent le principal élément de décor.
Un décor de carte postale
Après 2h30 de marche nous arrivons au bout du trek, à 3870 mètres d’altitude, au village de Kyanjin Gompa. Un village qui paraît perdu parmi les immenses montagnes voisines et enneigées. Le dépaysement est total, le paysage somptueux. Difficile de croire que des familles habitent ici, où les hivers rugueux font chuter la température bien en-dessous de 0°. Des habitants coupés du monde, au milieu de pics enneigés et de glaciers. Un monde à part, où le temps n’a pas la même valeur qu’en Occident et où les conditions de vie sont rudes, régies par le froid et l’isolement.
Les effets du tourisme
La situation exceptionnelle du village dans un environnement naturel d’une beauté unique a du mal à masquer une perte d’identité avec l’avènement du tourisme. Ici, les toits sont colorés, pas par tradition mais pour attirer les voyageurs et sortir du lot dans la concurrence que se livrent les lodges. Des habitants attendent d’ailleurs les marcheurs, aux portes du village, afin de les convaincre de les suivre. L’argent des touristes a considérablement changé les choses en peu de temps. Même les très jeunes enfants se laissent perdre par ce système et réclament avec le visage fermé et sévère du chocolat contre une photo. Il en va ainsi dans beaucoup d’endroits sur terre où le tourisme offre à la fois une aide précieuse mais peut changer les comportements et certaines relations humaines, dépassées par la puissance de l’argent et de ses vices. A près de 4 000 mètres d’altitude, nous avons l’impression que tout est ici question de business. Les seuls « Namaste » (« Bonjour ») qui nous sont adressés ont pour but d’engager la conversation et de nous proposer ensuite une prestation.
Des conditions spartiates
Nous projetons de rester dans ce village durant trois nuits. De quoi s’immerger dans le quotidien des locaux, notamment avec l’exercice difficile de la lessive, assis sur un minuscule support en bois de 15 cm de hauteur, à frotter notre linge avec une eau gelée venant tout droit des montagnes. Autre épreuve, la douche. Les villages le long du trek proposent tous l’eau chaude… à condition que le soleil ait apporté la lumière suffisante pour chauffer les panneaux solaires qui sont reliés à une réserve d’eau. Il faut également veiller à ne pas être le dixième à y aller sous peine de ne plus avoir d’eau chaude. Les douches sont généralement à l’extérieur et les ouvertures béantes de la porte laissent entrer le froid glacial. Mais ne faisons pas la fine bouche, il y a quelques années en arrière, les conditions devaient sûrement être beaucoup plus spartiates pour les randonneurs.
Dans l’après-midi nous cédons à l’appel des réputés Apple Pie, tourtes aux pommes de la boulangerie principale du village, dans laquelle nous finissons la journée, chauffés faiblement par un poêle à bois, et discutant avec d’autres trekkeurs nous divulguant des conseils avisés pour les treks des prochains jours.